Je marchais dans les rues sombres. Néant dans la ville, rien, aucun bruit. Seulement mes pas dans le silence, seulement moi dans l'immense. Maintenant que j'y repense, je me demande si c'était vraiment "moi". Mais laissez-moi vous racontez mon histoire incroyable. Au passé comme au présent. Je marchais donc dans les rues sombres, dans le froid et dans cette ambiance étrange et irréelle. Vide intersidéral. Les portes étaient closes, tous les volets étaient fermés. Aucune sortie, aucune échappatoire. Ca aurait sûrement dû m'angoisser. Seulement j'avais l'impression d'être loin, de planer au dessus des plus hauts nuages, d'être au fin fond d'un souvenir. Comment je m'étais retrouvé là ? Je n'en savais trop rien, la seconde précédente j'étais à Ses <<funérailles. >> Celles de grand-mère, auxquelles pourtant je n'ai jamais assisté vraiment. J'aurai tant voulu pourtant. Mais d'un coup j'ai plongé dans un trou béant, noir et ne menant nulle part. Je ne me rappelle à partir de là, qu'un choc violent, une résonnance assourdissante, un son sourd et inconnu. Depuis j'erre ici, dans cette ville désertée. Où suis-je donc ? La brume à mes pieds m'empêche de voir le sol pavé que je sens sous moi. J'ai l'impression de marcher sur les nuages. Je suis perdue et je ne peux qu'avancer devant moi puisque le chemin disparait au fur et à mesure que j'avance. La lumière blafarde et clignotante des lampadaires semble venue d'ailleurs. C'est un rêve n'est-ce pas ? Tout ceci n'est pas réel ? Je ne suis pas seule au monde ? C'est une farce ? Mamie n'est pas morte en tombant dans les escaliers et en se fracassant le crâne contre le sol, chaud et dur ? Non, son sang ne s'est jamais répandu sur le bitume n'est-ce pas ?! C'est faux. Ce n'est pas ma faute. Je ne pouvais pas savoir. J'avance encore, au loin se dessine les contours d'une silhouette. Au sol, elle me fait face. J'ai comme les jambes en coton et l'estomac noué à présent. Il commence à pleuvoir doucement. J'aperçois enfin son visage, elle se lève. Elle est encore jeune, elle est petite et blonde. Les larmes perlent autour de ses yeux bleus. Elle a une poupée dans les mains et des baskets aux pieds. Elle semble si fragile. Si fragile que le vent pourrait l'emporter, que je pourrais la briser en l'effleurant du doigt. Ses vêtements me rappelle quelque chose de lointain, je ne vois plus quoi. Pourtant je connais cette poupée, je connais ces vêtements. Et par dessus tout, je suis sûre que petite moi-même, j'avais les mêmes baskets, rose et blanche, à paillettes. Je les adorais, j'en étais dingue. Son jean est troué en fleurs, usé, avec des imprimés ajourés. Inimitable. On dirait moi, petite, il y a huit années d'aujourd'hui. Je devais avoir sept ans, pas plus. Je m'avance vers elle. Elle me regarde droit dans les yeux avant de lancer cette réplique cinglante.
<<C'est ta faute. >>
Ces quelques mots m'anesthésient. Comment peut-elle dire ça ? Comment sait-elle ? Pourquoi ce serait ma faute hein ? J'étais jeune ! J'étais insouciante, autant qu'elle ! C'est sa faute à elle, plus la mienne. C'était juste un accident. On aurait rien pu changer.
<<C'est faux et tu le sais. >>
Elle sanglote à présent. Je n'aime pas la voir pleurer. Ca me donne envie de pleurer à mon tour, je me retiens. Je ne dois pas lui montrer ma propre peine. Elle doit croire en l'avenir. Je dois racheter ma conscience. Elle vient de me donner la clé. En moi une porte s'ouvre dans ma tête, comme un déclic.
<<Alors c'est vraiment toi ? Moi ? >>
La tristesse m'envahit soudain, comme si elle me communiquait tout ce qu'elle ressent. Je suis emportée dans ce tourbillon, dans ce flot de lame de couteaux, tranchants et pointus. C'est sa tristesse à elle, celle d'une enfant qui ne comprend pas. Qui ne comprend pas pourquoi sa grand-mère ne franchira plus jamais cette porte qu'elle à sous les yeux. Elle a surpris sa mère au téléphone le matin, elle a compris vite, elle n'a rien pu faire. L'horrible s'était produit et elle dormait alors que le monde pouvait s'écrouler. C'est ce qui s'est passé d'ailleurs. Son monde s'est écroulé. Je repris la parole après avoir repris le contrôle de mes émotions.
<<Pourquoi je suis là ? Je ne peux plus rien changer. >>
<<Si, tu peux revenir en arrière. Abandonne-moi et retournes-y. Réveille toi. Parce qu'as-tu la moindre idée d'où tu es ?>>
<<Pas vraiment... Non. >>
Je fais un pas, tendant la main vers elle mais elle recule. Elle semble en colère, les lumières vacillent.
<<Ne me touches pas. >>
<< Pourquoi ? >>
Je ne comprends pas, tout semble si étrange. Elle semble enveloppée comme dans une aura maléfique, comme si quelque chose d'invisible nous séparait l'une de l'autre. N'étions-nous pas les mêmes ?
<<C'est la règle. On n'est pas du même monde. Je suis morte. Toi tu m'as survécu. >>
<<Je ne peux pas être vivante sans toi ?! Tu es moi. >>
<<Je suis morte. Je n'existais pas vraiment. Je n'avais pas de conscience, et je vivais au travers d'elle. J'ai succombé en même temps. >>
<<C'est impossible. >>
<<Admets-le et Réveilles-Toi. >>
<< Non ! Je devrais t'abandonner. >>
<< Fais-le, donne nous une chance. Tu Dois m'abandonner. Il le faut. >>
<< On a des choix on n'a pas à s'inquiéter. >>
<< Et mes choix à moi ? >>
<< Je les respecterai. >>
<< Alors Réveilles-toi. Pars. >>
<< Pars avec moi. >>
<< Ce n'est pas négociable. Vis. Ne te soucie pas de moi. Je suis un poids trop lourd à porter pour ton âme encore jeune. >>
<< Non... >>
<< Tu n'as pas le choix. Soit tu te réveilles, soit tu meurs. Tu es dans le coma. >>
<< Quoi ? Mais comment ? >>
<< Peu importe. Réveilles-toi ! Il ne nous reste que très peu de temps. Après il sera trop tard. >>
<< Je reste. >>
<< Ne t'entête pas ! >>
<< Je ne veux pas t'abandonner. >>
<< Pardonne-moi. Pour le passé et le futur. J'aurai toujours confiance en toi. Réveilles-toi. >>
Elle fait un pas brusque et me pousse. Je suis surprise. A ce contact quelque chose se brise. Je tombe à la renverse. Je passe au travers de la brume. C'est comme si le sol avait disparu. Je tombe dans le vide. Je ferme les yeux. Puis je sens une odeur d'hôpital désagréable dans les narines. Je prends possession de mon corps. Le sang court dans mes veines. J'ai des picotements dans les bras et les doigts. J'entends des bribes de conversation, si lointaines. On me sert vaguement la main. J'essaye de m'accrocher à ces doigts qui me serrent. Je reprends peu à peu conscience. Mes paupières clignes, je suis aveugle quelques minutes. Tout est si clair. Si lumineux. Je me réveille de si loin. J'ouvre les yeux et tout est flou. Comme si je sortais d'hibernation. Puis je distingue les contours de nouveau. L'ambulance des pompiers. Du rouge, du noir, du jaune. Je suis sur un brancard à l'intérieur. J'ai mal à la tête. Un pompier me regarde étrangement. Il a l'air choqué, ou bien étonné. Je ne saurais dire.
<< Vous allez bien ? >>
<< Je crois ... Tout ça est réel ? >>
J'avais un vide dans le coeur. Un trou noir de sept années dans ma mémoire. Autant de souvenirs perdus sans que j'en sois encore pleinement consciente. Sept ans de souvenirs venaient de disparaitre dans le néant. J'étais en dehors de moi, j'étais en elle. Je réfléchissais à toute vitesse, je me croyais dans un autre univers. Je doutais encore, en me réveillant, d'être entre rêve et réalité. Je voyais les pompiers s'affairer autour de moi. Je voyais ce grouillement, ce fourmillement de gens qui bougeaient sans cesse. Tout me donnait le tournis. Dans ma tête j'étais encore si loin, je regardais le monde d'un œil nouveau. Comme si je ne l'avais vu auparavant. Je ne comprenais plus bien ce qui se passait. Tout était comme neuf, le reflet dans les immeubles, l'herbe verte fraîchement tondue. Je remarquais enfin, le linge qui pendait aux fenêtres. Les ombres chinoises qui glissent sur les volets. Je remarquais le ciel sombre de nuages et la nuit tombait. La lune commençait à briller sous mes yeux ouverts bien grand. J'ai vu la lumière et sous mes yeux le ciel s'est ouvert.
<< Vous revenez de loin. >>
Il ne croyait pas si bien dire. C'est à l'hôpital que les médecins m'ont raconté. Le coma, les souvenirs, le rêve, les sauvegardes de moi à chaque année. Mon cerveau bizarre. Ma malformation et tout ce qui a suivi.
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