Lorsqu'il nous arrive des choses graves et personnelles, on a toujours la question qui se pose d'en parler ou non, à nos amis plus ou moins proches, à nos communautés internet, voir même à notre famille indirecte.
En décembre ou janvier 2016 il s'est passé quelque chose. Une agression verbale prenant part au harcèlement de rue courant dans une grande ville comme Lyon. En grandissant j'y ai été de plus en plus exposé et j'ai eu assez d'exemples pour au moins me rendre compte que la tenue que l'on porte, notre style n'empêche rien. On peut être habillé comme un sac à patate, comme un mec, comme une petite vieille on peut quand même essuyer des insultes de salopes, pute, ou des intrusions comme t'as des gros nichons, tu montres? tu suces ? t'es charmante.
Il m'arrivait d'être interpellé trois fois par semaine. C'était lourd, je sortais et on me renvoyait à l'image de la femme objet, sans considérer ma personne. Au fur et à mesure c'est moi qui me dématérialisait. Quand c'était trop violent je rentrais en pleurant chez moi, puis est aussi venue la colère, au début sourde, spontanée. J'ai commencé à me défendre, à répondre à ces sales types, mais ça n'enlevait pas le malaise que leurs regards déplacés avait laissé. Dans les pires cas, un attouchement dans le bus, il m'a fallu une heure pour sortir de ma colère, je m'en voulais, de ne pas avoir fait plus que l'humilier en public, je m'en voulais de je ne sais pas trop quoi. J'en ai voulu au gens qui m'ont félicité ensuite alors qu'ils n'avaient pas réagi pendant un quart d'heure, témoin du manège déplacé de cet inconnu. Des années plus tard, j'en veux parce que personne à cet instant ne m'a dit que je pouvais agir concrètement, porter plainte et demander à ce que cette personne soit retrouvée via les caméras des transports et jugée si ma plainte avait suite.
Même si elle n'avait pas eu de suite, j'aurai eu le soulagement d'avoir essayé, d'avoir apposé cette marque indélébile à son casier, que peut être s'il va plus loin et qu'une autre doit porter plainte pour viol on considérera plus facilement la plainte et ainsi toutes les précédentes apporteront un poids.
Le plus dur à comprendre pour les hommes, les gens extérieurs qui ne connaissent pas le harcèlement de rue qui se concentre dans les grandes villes, c'est que souvent on associe le harcèlement à l'oeuvre d'une seule personne alors que dans la rue il s'agit de la répétition d'agressions physiques, morales, verbales qui est en marche, portée par plusieurs hommes.
Et puis il y a eu un soir après un apéritif entre amis qui s'organise chaque semaine, il y a eu le truc de trop, le gars de trop, la phrase de trop. Pourtant le troisième de la semaine. La phrase qui perce votre armure et la détruit complètement. Le bout de ce que vous pouvez endurer tombe.
J'ai pleuré, j'étais sous le choc, j'ai une vision floue de ce soir là, je ne sais plus qui j'ai vu, ce que j'ai entendu. Je sais juste que c'était trop pour moi à cet instant là.
C'était l'élément déclencheur d'une série de symptômes que je connaissais mal, que je ne comprenais pas. J'avais du mal à sortir de chez moi, je pleurais dans les transports en commun, je devenais jour après jour paranoïaque sur chaque sourire, chaque regard, chaque intention.
Après cela c'était une autre moi qui était là. Une moi brisée, perdue, asociale, craintive, colérique.
Je me demandais combien d'injures telle ou telle fille avait enduré, si ce mec l'aurait aidé face à une agression, s'il ne l'aurait pas commise. Je pleurais en cours, je ne dormais plus. Je me sentais dans une insécurité totale, je n'arrivais pas à bien dormir chez moi, chez mes parents, nulle part.
J'ai eu une période insomniaque, je dormais trop peu pour tenir, je m'endormais en cours et je me réveillais paniquée de m'être assoupie dans un endroit public absolument pas sûr. Alors pour y remédier je ne sortais plus, j'évitais les cours qui n'étaient pas obligatoire. J'avais mal au coeur en permanence. Je me couchais vers 5 heures pour parfois ne plus me réveiller.
Il y a eu pleins d'autres facteurs aggravant et de vieux démons enfouis qui ressortaient. J'ai commencé à écrire un livre pour parler puisque je n'arrivais pas à le faire dans la vraie vie, je baragouinais, je ne parlais que peu des problèmes, je n'arrivais pas à décrocher le téléphone pour prendre un rendez-vous chez ma psychologue.
Après trois mois, je me sentais parfois handicapée, je perdais mes mots, j'avais littéralement l'impression d'être attardée. Je perdais le fil de mes idées, de mes mots, je décrochais d'une conversation en plein milieu sans raison et j'avais l'impression d'être là physiquement mais de ne pas vraiment être là, avec ces gens que j'aimais.
Ces gens que j'aimais parfois ne voyaient pas le problème, d'autres étaient les deux pieds dedans à me relever quand je m'effondrais. Ces gens pourtant j'avais l'impression de ne plus les aimer. Je me renfermais sur moi même, à ne plus faire confiance à personne, pas à moi-même. J'avais peur de craquer et commettre un meurtre car c'était une idée récurrente au début, puis j'ai eu des épisodes suicidaires. Je commençais une insomnie et les pensées négatives m'envahissaient. Parfois je me blâmais et tout s'enchaînait. J'avais l'impression de ne plus ressentir de positif, d'amour, je ne voyais plus l'amour qu'on me portait, je me sentais abandonnée et seule.
Quand j'ai enfin vu la psychologue elle a été choquée, n'a vu que la douleur immense qui m'habitait. Elle a vu le problème sans m'en donner le nom, elle m'a redirigé vers une psychiatre et m'a demander d'envisager une prise de médicament.
Le nom m'a été donné par mon gastro-entérologue, après des analyses sanguines pour la prise d'un anxiolytique. Dépression. Pas facile à appréhender, ni à faire accepter à son entourage, méconnu et méprisé, une maladie de l'ombre en quelque sorte.
Je n'ai pas encore mon traitement définitif régulier, j'ai eu du mal à rappeler la psychiatre ces derniers temps, j'ai un médicament de secours en cas de grosse crise et parfois je n'en prends plus parce que je me dis que tous les jours sont comme ça et que ce n'est pas un médicament prescrit pour une prise régulière.
Ce livre que j'ai commencé à écrire, je ne veux pas le garder pour moi. J'aimerai le publier mais je doute que ce genre de récit, de rédaction intéresse un quelconque éditeur. Mais j'ai un blog, que j'aime beaucoup, que je redécouvre, que j'apprend à remplir de nouveau et c'est ici que je veux publier ce livre, comme j'ai pu y publier mes textes d'adolescence.
Je veux partager pour vous montrer ce qu'il peut se passer dans une dépression, ce qu'un rien peut apporter ou enlever, ce qui blesse, ce qui est bon quand on accompagne. J'y partage aussi des points de vues sociaux, sur des problèmes qui ressurgissent, mes opinions évoluent dans ce livre, parfois régressent.
Je publierai chapitre par chapitre, peu régulièrement car ce livre ne sera fini que lorsque je serai sortie de la dépression et ce n'est pas un accouchement avec une fourchette de date d'issue précise.
Je réapprends à vivre, à grandir.
Tout mon amour à ceux qui y sont passé,
tout mon soutien à ceux qui y sont encore,
0 commentaires