CHAPITRE 1



« Le harcèlement sexiste dans l’espace public se caractérise par le fait d’imposer tout propos ou comportement, à raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle supposée ou réelle d’une personne, qui a pour objet ou pour effet de créer une situation intimidante, humiliante, dégradante ou offensante portant ainsi atteinte à la dignité de la personne. Le harcèlement sexiste peut prendre des formes diverses comme par exemple des sifflements ou des commentaires sur le physique, non punis par la loi, ou des injures, punies par la loi. » - étude sur le harcèlement des femmes dans les transports - FNAUT

CHAPITRE 1 : Le commencement

La première marque de harcèlement de rue dont je me souvienne et qui m’ait touché personnellement remonte à l’époque du collège. Je n’étais encore qu’une enfant avec un cartable à roulettes, ma mère accompagnant chacun de mes allers et venus jusqu’au collège, de Hôtel de Ville jusqu’à Vieux Lyon, matin midi et soir. Nous étions montés dans le bus 25 et nous étions assises dans le fond, moi du côté couloir. Cette information a toute son importance quand un homme banal aux premiers abords mais au sourire plus que mesquin a caressé mes cheveux en passant dans l’allée, le tout agrémenté d’un regard lubrique. J’avais douze ans à peine, rien d’une adolescente ou d’une femme, un bon vieux jean et des baskets, pas de maquillage, une raie au milieu même pas droite, rien de soigné. C’était un geste déplacé, voulu, recherché par lui et absolument pas par moi. J’ai subi.

J’étais une enfant et je n’étais pas à l’abri des pervers sexuels, des harceleurs, du danger en général, même si ma mère était à côté de moi. Je n’ai rien dit et personne n’a rien remarqué, j’avais ce malaise collé en moi comme de la glu pendant tout le voyage.
A l’époque je n’ai pas compris et je suis passé à autre chose, comme si ce n’était rien. Mais nous voilà dix ans après et je m’en souviens comme si c’était hier, cette sensation dérangeante toujours présente mais avec quinze fois plus d’exemples de comportements inappropriés à ajouter à ma vie et qui altère de façon négative mon opinion des inconnus.

Pourquoi je n’ai rien dit ? Pourquoi je ne l’ai pas signalé à ma mère ? Il y a une raison simple : la honte, la situation intimidante me pousse à vouloir la terminer rapidement et donc à ne pas la ralonger avec des cris ou une discussion. Il y a aussi le contexte, je suis fatiguée, je rentre de l’école dans laquelle je subis déjà ce genre de comportement mais de la part de mes camarades de classe masculin, le grand jeu de cet âge étant « camion » et de passer des mains aux fesses. Je suis déjà habituée à ne rien faire et rien dire parce que les surveillants du collège n’ont jamais rien dit, mon esprit d’enfant déduit qu’ils trouvent cela normal. Alors qui suis-je face à un adulte pour juger la norme ?

A la maison la stigmatisation de l’inconnu est forte, même sans exemple on nous dit de ne pas parler aux inconnus, de se méfier, de ne pas accepter de bonbons, de faire attention. D’un autre côté on ne nous dit pas d’appeler la police si ça ne va pas, de demander de l’aide. On nous apprends à nous retourner vers ceux qu’on connait : nos parents, et ceux à qui ils font confiance. Dans tout ce mic mac on ne nous apprend pas à donner notre confiance propre mais à récupérer celle de nos parents.
Se faire des amis est par la suite un chemin personnel, semé d’embuches. On parle peu des embrouilles à nos parents parce qu’ils nous diraient « je te l’avais bien dit » et on ne veut pas l’entendre. Il serait tellement plus sage de donner les clés pour détecter quelqu’un de fiable ou non, mais ils semblent vouloir garder ce secret indispensable à l’abri de nos oreilles.
Si nos parents ont des avis, sur quoi se basent-ils ? Justement, s’ils ont des raisons, pourquoi ne pas nous expliquer comment faire plutôt que de devoir dépendre d’eux socialement ?

J’ai eu la chance de grandir dans un contexte privilégié, dans la sécurité illusoire d’une famille qui m’accompagnait partout et d’une éducation dans des établissements religieux et privé scrupuleusement choisi. Tout y était calme et très réglementé, trop sans doute.
Sans le savoir je n’étais à l’abri de rien, même au primaire en en ayant pourtant l’impression. Par exemple j’ai su des années plus tard que ce professeur de musique qui donnait des vieux gâteaux à la canelle pour chaque bonne réponse était « un pédophile trentenaire» qui était sorti avec une adolescente de 15 ans.
Ce jugement sur cet homme, venait directement de nos parents. Je l’ai su bien plus tard mais c’était la discussion principale des mères attendant leur progéniture devant l’école.
On n’est à l’abri nulle part, alors ne faisons pas l’erreur de le faire croire à nos enfants. Avoir conscience du danger ne fait pas grandir plus vite, y être confronté par surprise le fait bien plus. Les enfants sont parfois gardés dans un cocon par amour, mais aussi par peur des parents de voir leur progéniture grandir. Le temps passe et il faut l’accepter. Certaines erreurs ne se pardonnent pas et laissent des traces indélébiles. Un jour je cesserai d’en vouloir à mes parents, de ne pas avoir vu ces gestes déplacés, de ne pas avoir expliqués leurs mises en garde.

Après le harcèlement de rue de trop, il y a eu la deuxième série d’attentats et je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec la classe de CP. J’avais une maîtresse super qui était très gentille si l’on travaillait bien et qu’on ne bavardait pas, elle m’appelait son rayon de soleil quand d’autres étaient cancres. Elle inspirait la peur à tous et même en classe de musique ou de catéchisme au 5èmeétage nous l’entendions qui criait au 2ème dans sa classe.Elle instaurait le calme, le silence, le respect par la peur et moi aussi comme les autres, chaque jour j’avais peur d’arriver en retard, peur de dire quelque chose de mal, peur de ne pas faire comme il fallait. Elle était attentive à chacun, savait comment nous faire avancer.
C’est aujourd’hui à mes yeux une maîtresse exceptionnelle d’un point de vue enseignement et ça a été une peur qui a peut-être sauvé ma vie et celle de ma mère. Je ne remercierai jamais assez cette dame, peut-être pour rien, peut-être pour beaucoup, dans le doute j’y pense et je la remercie.
C’était un matin comme les autres, j’avais cours, ma mère devait m’emmener, on avait pris un peu trop de temps pour se préparer. Nous partions rapidement, et moi sur le pallier je trépignais en disant à maman de se dépêcher. Je suis petite, je ne fais pas attention aux bruits de la cage d’escalier, je ne fais attention à rien, je fixe la porte dans l’espoir de la voir brancher l’alarme et sortir le plus vite possible. On ferme enfin la porte et on monte vite dans l’ascenseur. Arrivées en bas je cours dans le couloir jusqu’à la grille, je m’arrête brusquement. Intimidée, j’entends des bribes de phrases que mon cerveau ne peut pas comprendre. Face à moi derrière la grille le GIGN en tenue d’assaut nous demande si l’on n’a vu et entendu quoi que ce soit. On nous dit chanceuse de n’avoir croisé personne puisqu’à l’étage en-dessous du nôtre, une prise d’otage dans l’atelier de notre voisin bijoutier est en cours.
Je suis arrivée en retard évidemment, mais j’avais la meilleure excuse du monde quand on a sept ans, « excusez-moi il y a eu un cambriolage avec prise d’otage dans mon immeuble ! » J’étais fière, contente de ne pas m’être faite criée dessus, une excuse pareil ça claque, ça impressionne, l’espace d’une journée j’avais un truc intéressant à raconter aux copines. Le coup était très bien préparé, on apprendra que l’ensemble des habitants étaient suivis depuis plusieurs mois. L’information fait froid dans le dos quand on a ce recul d’être adulte, et même enfant j’avais tiqué en apprenant cela, mais on met ça dans un coin de notre tête et on retourne vers ses polly pocket, parce qu’on est jeune et insouciant et que notre inconscient nous protège tout en gardant les informations.

C’est bête parce que je me sens plus fragile d’avoir vécu ça, je relativise d’être en vie, en bonne santé, d’avoir eu de la chance ce jour là mais avec l’ampleur des attentats dans les médias j’ai l’impression de connaître cette même peur. Comme si mes sentiments devant les informations n’étaient qu’une réplique forte de ce jour-là. J’ai bien conscience que ma peur est moindre par rapport aux victimes actuelles des attentats mais je suis là, dans mon lit à pleurer les morts des autres, la tristesse de la nation que la télévision s’évertue à propager pour détourner l’attention de ce qui devrait soulever le peuple.

Les attentats s’accumulent, les médias n’ont plus que ça à la bouche, dans les kiosques, sur les applications, dans le poste de télévision et si j’essaye de me couper de cela, il me reste les réseaux sociaux, alimentés par mes proches inquiets plus que de mesure à cause des médias. Ce rappel quotidien que le danger est partout il m’empoisonne, il est partout, même chez mes amis, ma famille.
A cette inquiétude croissante s’ajoute les faits divers, un bagage personnel de mauvaises histoires et les histoires des proches, qui eux aussi ont subi, on commence à toucher l’angoisse du bout des doigts, dans ma tête c’est le chaos depuis un moment.

C’est mon cerveau entier qui est parasité, qui ne s’aide pas lui-même. C’est mon inconscient qui fait des parallèle entre aujourd’hui et hier, l’histoire de la voisine et celle de votre tante. Tout cet ensemble augmente l’inquiétude que j’ai quand je sors, quand je suis seule chez moi, quand il y a de l’orage, quand on sonne à la porte. Je suis malade de devoir vivre en société, sortir pour aller en cours, prendre les transports pour rentrer le week-end chez mes parents.
Le dernier grain de ce rouage de malade mental, c’est la paranoïa. Mon cerveau déborde d’imagination et depuis toujours je me faire des scénarios catastrophes. Les jouer dans ma tête c’est une façon de se préparer au pire pour ne pas être pris au dépourvu, c’est un moyen de défense. J’aime le goût du risque et être au bord du précipice, mon inconscient aime me faire peur. La peur peut être bénéfique tant qu’elle est maîtrisée. Moi j’ai dépassé ce stade, rien n’est plus maitrisé et c’est une très mauvaise chose. Je suis envahie en permanence de pensées négatives qui engendre et conserve la peur déjà présente.

Quand je vais aux toilettes je suis en train de craindre que quelqu’un glisse une caméra miniature sous la porte d’entrée. Quand on sonne, j’ai peur que mon ex attende derrière la porte, une arme braquée sur le judas. Dans le métro j’ai peur d’être poussée sur les voies, j’ai peur de cet homme en jogging avec sa bière, j’ai peur d’être agressée sexuellement par ce groupe d’hommes qui rôde à vingt-trois heures, j’ai peur de sortir, j’ai peur des gens, je n’ai confiance en personne, même pas moi. J’ai peur de plus en plus et j’angoisse, incapable d’arrêter cette spirale infernale. J’angoisse et je ne dors plus, je fatigue et la fatigue engendre cauchemars et encore plus d’angoisse.

On se fabrique sur nos expériences et même si souvent on dédramatise, tout cela reste dans nos esprits, comme si toutes ces peurs, ces frayeurs qu’on a eu restaient collé dans chaque cellule de notre être et s’accumulaient dans l’inconscient. Par exemple ma mère raconte souvent et agit en fonction d’une tentative de cambriolage auquel elle a assisté. Quand elle était petite, seule à la maison alors qu’elle n’aurait pas dû être là, leur chat s’est mis à miauler et à vouloir l’atirer vers l’entrée, elle a juste eu le réflexe de se jeter sur la porte qu’on essayait de forcer et qui commençait à s’ouvrir. Ce fût traumatisant pour elle et cela se ressent aujourd’hui dans son adoration des chats, elle se sent mieux quand il y en a un dans le coin. Elle se sent mal quand elle est seule à la maison que ce soit de jour comme de nuit, il lui arrive même de s’endormir entièrement habillée « au cas-où ». Elle ferme systématiquement le verrou dès qu’elle rentre et veille à ce que ce soit le cas derrière tout le monde. Dès qu’elle est seule à la maison, elle guette le moindre bruit et ne dort jamais bien : elle ne dédramatise pas cet événement, reste ancré à ce souvenir et refuse de le laisser partir. Elle s’y accroche et couve l’angoisse. Je suis enchaînée à la peur, qui grossit l’angoisse, qui fait naître la paranoïa, qui m’empêche de dormir, qui engendre des cauchemars qui me donne de nouvelles peurs qui grossissent l’angoisse... On ne s’en sort plus.

Nous sommes en janvier 2016 et je suis intolérante au harcèlement de rue quotidien. Sans doute que j’y ai été souvent confronté, et parfois trop d’un coup, pour autant je n’ai pas non plus un passé qui aide à prendre confiance, à donner sa confiance aux autres.
Le harcèlement de rue quand on a 21 ans c’est des regards dérangeants très souvent associés à des interpellations. Parfois que des regards, une petite mine appréciatrice  après un regard sur votre poitrine, vos cuisses, votre tenue. C’est quelqu’un qui se retourne après votre passage, pour mater votre cul en toute discrétion, à votre insu. Peu importe l’heure, le jour de la semaine, la tenue, rien ne m’a jamais préservé de ce genre de comportement.

De chez mes parents au métro il y a plusieurs options et il n’y en a aucune de « bonnes ». Comprenez par-là : qui m’éviterait une nouvelle interpellation. Je dois soit traverser un parc assez mal fréquenté et mal éclairé, soit passer par l’arrière-cour qui est devenue le refuge de trafic de drogue, place des alcooliques, parfois lieu de prédilection de jeunes qui boivent et se retrouvent avec de la musique trop forte, enfin plus souvent encore endroit de rassemblement de bandes de gars en jogging. Ils trainent là souvent, n’ont rien d’autre à faire, voient leurs copains banlieusards, cherchent de la minette à frotter, ils sont les premiers à vous interpeller, après viennent les alcooliques du coin, ensuite le jeune homme seul qui a la « chance de vous croiser » et qui tente de façon impolie, puisque personne n’est là pour le condamner moralement.
De toutes ces bandes, il y a les jeunes qui m’énervent car sans respect des lieux à laisser trainer mégots, alcool et canettes de soda, il y a les alcooliques dont on se méfie de loin mais ce sont les plus inoffensifs dans le fond, s’ils vous interpellent vous pouvez très vite les rembarrer et ils comprennent, ce sont les désabusés de la vie qui ont perdu la foi de l’humain. Il y a les dealers qui eux ont l’accord tacite de vous laisser tranquille si vous en faite de même, pour finir par les gars en jogging sur lesquels... il y a trop à dire, trop d’amalgames possibles aussi, beaucoup de méfiance déjà acquise par l’expérience négative.

Le harceleur n’a pas de costume, pas d’habits de théâtre, il se cache sous toutes les formes, tous les languages, toutes les classes sociales.
Phénomène étrange, il ne m’est jamais arrivé de me faire insulté ou accoster en compagnie d’un ami, de mon père ou d’un petit-ami, même si j’ai subi regards insistants et sous-entendus. Pourquoi la présence masculine est une façon de ne pas se faire accoster lourdement sur son physique ? Le respect est-il soudainement présent parce qu’on est déjà prise ? Ou bien est-ce le respect envers le petit-ami qui se pose sur nous telle la « femme objet chasse-gardée» ? Ou on le craint plutôt que de le respecter ? Les harceleurs suivraient donc la loi du plus fort ? N’accostant pas les femmes accompagnées par crainte de ne pas être assez fort face à l’autre homme qui est accompagné ?

Le harcèlement de rue est sexiste, il se base sur le principe même de votre sexe, vous pouvez être une fille qui s’habille avec des vêtements d’homme que l’on vous harcèlerait quand même, à l’inverse l’homme en fille sera rabaissé, traité d’homosexuel ou de transsexuel alors qu’il n’y a pourtant pas de mal là-dedans. On ramène toujours la femme au sexe faible. Le sexe de femme étant en soi considéré comme dégoutant, profanable contrairement à celui de l’homme.

Mais le fait est que souvent en tant que femme, la première chose que l’on réplique pour les repousser, c’est qu’on est en couple ou pas libre, même quand c’est faux. Notre instinct, nos expériences nous montre que ça éloigne plus rapidement un pauvre type qui cherche de l’affection ou du sexe, ou les deux, au choix. Je me déteste dans cet instinct, ça m’est arrivé bien sûr de répliquer ça juste pour être tranquille plus vite, pour autant j’ai l’impression de me dévaloriser, de vendre quelque chose au rabais, comme si prendre cette excuse c’était abandonner l’idée qu’on puisse me respecter autant célibataire que en couple juste parce que j’ai choisi de ne pas être intéressée et que personne n’a à m’imposer quoi que ce soit.
Oui pour moi c’est une question de respect, quand vous pensez de quelqu’un qu’il est mal habillé ou moche vous ne lui dites pas, c’est votre opinion, de quel droit vous diriez quelque chose de méchant ou dérangeant à quelqu’un qui vous est inconnu sans qu’il vous ait rien demandé ? Vos goûts vous regardent et même si parfois je méprise ceux qui n’aiment pas la mode, le style, et que j’aimerai leur donner des conseils, souvent je me tais. On n’a pas à s’introduire dans la vie des autres juste par plaisir ou envie de donner son avis, ou partager son désir de la personne. Des fois aussi j’ai envie de dire à ce monsieur que cette chemise lui va bien ou à cette demoiselle où elle a acheté ce jean dont je suis jalouse ! Mais je ne le fais pas non plus. Positif ou négatif : j’évite d’émettre un jugement qui n’est pas demandé.
Ainsi quand dans la rue certains se permettent des remarques sur la taille de ma poitrine, la longueur de mes jambes, ou généralement « t’es mignonne » je ne trouve ça pas respectueux, d’autant que c’est balancé comme ça, sans préambule, pas un bonjour.

Il y a plein de façon d’approcher quelqu’un de façon plus polie et moins dérangeantes qu’un « hé mademoiselle, t’es bonne ! T’as un numéro ? ». Commencer par un bonjour déjà, faire attention à l’autre dans sa façon de vous répondre, s’il semble pressé, mal à l’aise. Ne pas essayer d’engager la discussion avec quelqu’un d’occupé avec un livre ou de la musique, parce que oui, à moins de rendre service si la personne a fait tomber quelque chose : vous la dérangez ! Ensuite il semble plus « normal » d’avoir un vocabulaire correct, parler un peu avant pour connaitre la personne et ne pas passer pour la personne intrusive qui veut directement savoir où vous habitez, quel est votre numéro, est-ce que vous êtes célibataire. Il y a quand même un fossé entre un « hé joli cul » et « bonjour mademoiselle, comment allez-vous ? C’est agréable de discuter avec vous, est-ce possible de faire plus ample connaissance ? ». La politesse par exemple, l’idée de ne pas se permettre de juger autrui que sur le physique et le lui dire, de ne pas traiter la personne comme un bout de viande, de lui demander son avis sur la relation qu’elle souhaite, et si il n’y a pas de réponse positive, le minimum c’est de laisser tomber cordialement sans faire le harceleur cinglé qui va tenter de vous suivre ou savoir comment vous retrouver.

Je trouve ça très injuste de devoir me justifier sur un statut sentimentale plutôt sur si j’ai envie ou non de parler avec cette personne et si je suis ou non intéressée par une relation quelconque. Je trouve cela injuste autant dans les faits que dans l’éducation que j’ai reçu en tant que fille, l’éducation que j’ai eu de mes parents, de l’école, des médias, du reste du monde. Enfant je n’ai fait qu’entendre quotidiennement de faire attention, de ne pas traîner pour rentrer à la maison, de prévenir en cas de problème, que les rues n’étaient pas sûr, de ne pas sortir seule le week-end, de mettre des collants sous une jupe même si c’est l’été, de ne pas mettre de jupe trop courte ou de décolleté trop grand pour ne pas aguicher. A l’école même, il était interdit de mettre une jupe pour une fille, alors que les garçons pouvaient venir en short court. Je me souviens avoir eu une jupe-short qui était en fait un short avec un volant par-dessus donnant l’illusion d’une jupe tout en laissant une liberté de mouvement sans craindre de montrer sa culotte. Il a été dit à ma mère que c’était une tenue incorrecte, jusqu’à ce qu’ils se rendent compte que « c’est une jupe-short, pas de panique !!! ». Quand bien même ça aurait été une jupe, où est le problème ? Pourquoi on ne dit pas plutôt aux garçons de ne pas chercher à voir les culottes des filles ou à leur toucher le corps sans permission ? Pourquoi encore conserve-t-on l’idée arriéré qu’il est « normal » pour les garçons de s’y intéresser et de vouloir toucher ? Mais que je me souvienne JAMAIS aucune fille, ni moi, n’avons cherché à regardé le slip des garçons, à tirer des pantalons pour ça ou essayé de les toucher à leur insu.

Qu’en est-il des garçons justement, où est la réciproque de ces grands discours que l’on donne aux filles ? Jamais on ne les embête sur un jugement social de leurs vêtements, on les laisser jouer dehors, se salir dans la boue, alors que nous devons être propre, gentille, aider maman à débarrasser la table pendant que papa regarde la télé. Quand donc, la société dira à un garçon « ne viole pas une femme » ou encore « le consentement ça se dit, ça ne s’interprète pas » au lieu de dire « ce viol elle l’a bien cherché aussi, avec ses vêtements provocant ! ».

Tout ça avait tellement peu de sens en plus puisqu’on me raccompagnait, qu’on ne me laissait pas la moindre liberté alors que paradoxalement on me poussait à être moins timide et oser demander des choses au gens, de l’eau à un serveur ou le pain à la boulangerie. On me demandait de parler à des inconnus alors qu’on m’avait toujours appris à faire le contraire, à me méfier d’eux, à faire attention à on ne sait pas trop quoi en se fiant aux horreurs du journal télévisé alors que mes camarades masculins n’avaient jamais entendu parlé de tout ça, n’avait jamais eu de mises en garde sur le fait de rester tard dehors, de traîner seul.

Mes parents m’ont souvent poussés à passer les commandes au restaurant pour nous trois juste pour me rendre moins timide. J’ai fait du théâtre, de la danse, du cirque, des classes vertes... Tout ce que je voulais c’était de l’air, de la liberté et de l’autonomie alors je suivais rapidement le mouvement quand cela m’emmenait loin de la maison et de l’école, peut-être que c’est cela aujourd’hui, qui parfois me fait faire des choix dangereux. Le résultat c’était que je ne savais pas à quoi faire attention. On vous dit « fais attention il y a des cinglés dehors, des violeurs » mais on ne vous dit pas comment les éviter ou les repérer. On ne vous dit pas vraiment en quoi c’est mal, vous ressentez seulement que ce n’est pas accepté par la société et de l’autre côté on n’explique pas aux hommes comment ne PAS devenir le violeur ou l’agresseur.

A mon entrée au collège  j’ai eu une lueur d’espoir qui s’est très vite réduite à néant. J’avais 11 ans et tous mes trajets pour l’école jugée « loin » à trois arrêts de métro de la maison dont un changement, étaient accompagnés par ma mère. Je l’ai mal pris pendant longtemps car c’était la honte à côté de ma bande de copines qui faisaient le même trajet toute l’année en bande. C’était la misère sociale et ça n’empêchait pas les regards déplacés, bien qu’à l’époque j’y donnais moins d’importance et je guettais moins. Forcément quand maman est à côté on lui délègue le devoir de faire attention, alors on ne s’habitue jamais à le faire. Peut-être j’aurai pu apprendre à faire attention plus tôt si on m’en avait laissé l’occasion plutôt que de vouloir le faire pour moi. J’avais eu un téléphone portable pour mon entrée en sixième, « au cas où » « en cas d’urgence » « si je suis en danger » afin de joindre mes proches... cette liberté qui était plutôt une protection n’avait aucun sens puisque j’étais accompagnée par ma mère même quand j’étais avec ma bande de copines, alors à quoi servait ce téléphone qui devait me coller à la peau si ma mère avait le sien et était là ? Je peux compter sur les doigts d’une main les fois où j’ai pu, ou plutôt dû selon le point de vue de mes parent, rentrer seule.

Du jour au lendemain, d’une année sur l’autre en fait, j’ai changé de collège, passant de trois arrêts de métro à moins d’un et seulement 10 minutes à pied de trajet, du privé catholique au public laïc, le tout en changeant de cercle d’amis, d’une cantine tous les jours aux sandwichs de la boulangerie et le luxe régulier du repas de ma grand-mère à la maison. Je suis passée du catéchisme aux salles de permanence, de la récréation dans les couloirs à réviser à la récréation où l’on n’a justement pas le droit de rester dans les couloirs, de l’interdiction de sortir plus tôt aux virées en ville.

Ce changement de collège à eu d’énormes effets sur ma vie actuelle. Cela m’a beaucoup apporté, du bon comme du mauvais. Premièrement j’ai changé de cercles d’amis, de connaissances, c’est dans ce deuxième collège que j’ai rencontré mes meilleurs amis actuels et je n’ai gardé que peu voir pas de contacts d’avant. On ne s’en rend pas compte tout de suite mais dans le privé ce qui primait c’était la rémunération de vos parents pour vous acheter les dernières baskets à la mode, le frisson de fumer des cigarettes dans les toilettes du collège, la côte de popularité selon votre potentiel à organiser des soirées dans une jolie maison que vos parents sont prêt à laisser à des pré-adolescents, votre beauté relative à celle des autres filles, beauté directement proportionnelle au nombre de garçons qui s’intéresseront à vous. Etrangement, vos amies dépendaient de cette popularité, les plus populaires restant souvent entre elles mais invitaient la classe entière lors des soirées, c’étaient les plus demandées lors des jeux du genre 7 secondes de bonheur : oui je parle bien de ce vieux jeux où deux noms sont tirés « au hasard » et ces deux personnes sont enfermés dans un placard durant 7 secondes pour s’embrasser. Autant vous dire que je n’ai jamais vu ne serait-ce que l’ombre de l’intérieur de ces placards, ma popularité n’ayant jamais été très élevée ce qui est sans doute lié au fait que je n’avais à l’époque jamais craqué sur une cigarette dans les toilettes, n’avait jamais eu ces baskets que tout le monde avait aux pieds, n’avait pas d’appareil dentaire à élastiques roses fluo comme tout le monde, n’était pas très intéressée par les trucs de fille ou l’idée de grandir, n’était pas intéressée par le maquillage et les vêtements. Dès lors que j’ai eu cette liberté de mes vêtements cela dit, les jeans baskets et T-shirt fluo ont eu le fin mot de l’histoire à la place des col claudine et du velours côtelé tant appréciés par ma mère, l’une de mes plus grandes victoires de pré-adolescente. Libre de ce choix, je n’avais pas l’ambition de me féminiser tout de suite.

Les premières marques quotidiennes de harcèlement ont aussi pris place à cette époque sous forme de jeux de récréation. Jeux qui si l’on y réfléchi poussait les filles à se laisser-faire, les « dis camion » et j’en passe. Pire encore avec le recul que j’ai aujourd’hui, j’ai le net souvenir des récréations où les garçons courraient après toutes les filles, populaires ou non, dans le seul but de nous toucher poitrines naissantes et fesses plus ou moins rebondies. Je commençais à être bien doté et cette « guerre fille/garçon » a été dure. A cette âge on trouve ça drôle deux minutes et au bout d’une semaine de jeu on est vraiment agaçé, alors nous aussi on cours après les garçons et commençent la bataille « dis camion » VS « met lui une énorme gifle ». J’ai le souvenir d’un Nicolas très petit mais persistant malgré les « non ! » et les « arrête ! », qui a gardé la marque de ma main plusieurs heures. Aujourd’hui encore son visage est gravé dans ma mémoire.
J’étais contente d’avoir un moyen de défense qui me proposait de cogner, j’avais déjà cette combativité, cette hargne, cette réponse violente ancrée en moi depuis l’enfance, comme si c’était l’une des seules façon de se faire bien comprendre ou de se faire prendre aux sérieux par tous.

Ce fonctionnement était très illusoire de la vie réelle, les parents n’étaient jamais au courant et les surveillants non plus, souvent là à fermer les yeux ou occupés à chasser les élèves qui fumaient dans les toilettes. Je me demande malgré tout si nous aurions été prises en considération si l’on s’était offusqué et que l’on avait parlé aux professeurs ou la direction.

D’un point de vue purement scolaire cependant l’école restait géniale puisque chaque année nous voyions une fois et demi le programme. Nous avions toujours de l’avance et l’on nous poussait à vouloir être les meilleurs, j’ai grandi dans la concurrence et cela me motivait alors le choc de l’école publique a été d’autant plus rude. C’était nettement moins bien fréquenté, les gars en jogging étaient déjà là mais avaient à peine 13-14 ans. A ce moment là ils étaient plus axé sur le vol, auquel je n’avais alors jamais été confronté jusque là. Il n’a pas fallu attendre longtemps. Après la récréation il fallait vite remonter en moins de cinq minutes dans sa classe ce qui était la cohue parfaite, l’occasion pour eux de provoquer de nombreuses bousculades. La poche avant de mon Eastpak rose avait été vidé de mon porte-monnaie neuf offert le week-end même pour mon anniversaire. J’ai gardé l’amer sentiment de la perte matérielle alors que les voleurs étaient dans le même collège, me croisaient et volaient toujours d’autres gens lors de bousculades. J’avais mal au coeur, je n’étais pas la seule victime de vol et le collège Ampère n’y a jamais rien fait, mes parents même, n’ont jamais eu l’idée d’aller porter plainte.

J’ai découvert un monde complètement différent, j’ai découvert que la vie n’était pas toujours rose, j’ai rencontré des amies dont les parents divorcaient pour cause de violence et d’alcoolisme, j’ai découvert les autres religions et des parents qui parfois laissent leurs filles aller à l’école sans voile, leur faisant croire à la liberté pour à partir de leur 16 ans chercher à les marier pendant l’été au bled avec le cousin d’un cousin d’un ami. Certaines de mes amies avaient des ruses chaque été donc, pour y échapper et repousser cette issue, jusqu’à même convaincre ses parents de les laisser faire des études supérieures. J’éprouve une certaine admiration pour elles, de par leur envie de s’en sortir, de ne pas abandonner leurs projets d’avenir, d’en avoir tout simplement. Elles avaient aussi des ruses pour se maquiller un petit peu, ou se changer en arrivant à l’école. Je trouvais ça beau d’avoir un peu de liberté quel que soit nos origines ou d’au moins pouvoir peut-être s’en sortir. J’admirai la ruse aussi, le combat pour la liberté, le désir de prendre sa vie en main.

Parallèlement moi j’avais l’impression d’être en vacances scolairement, je ne suivais pas plus que ça en cours, je n’avais plus d’effort à faire avec l’avance que j’avais, je pouvais assurer un 15 sans problème. Ces instants de repos mental m’ont servis à étudier les gens, leur façon de faire, le monde nouveau qu’était « le public », à découvrir les garçons, à m’intéresser à des choses variées. La musique, l’art, Internet, le début des garçons, bref la vie réelle des adolescents.

Il y a eu deux choses qui m’ont vraiment perturbé à l’époque de ce second et dernier collège, deux choses qui représentent une masse énorme immergée. La première c’est quand j’ai su pourquoi nous n’avions pas le droit de rester dans les couloirs pendant les récréations et pourquoi les toilettes des filles du troisième étage étaient régulièrement fermées à clé. Nous nous étions juste fatiguées de devoir monter et descendre trois étages à chaque envie pressante alors que des toilettes étaient là, à portés de mains... mais toujours fermés à clés. A demi-mot une surveillante nous expliqua un jour que quelques années auparavant une fille avait été violée dans ces toilettes. Je ne comprend pas comment c’est possible, cela me semble inimaginable, moi qui débarque d’un monde surprotégé et illusoire. Comment une fille a pu se faire violer au collège, donc par un gamin de moins de 15 ans normalement, pendant les heures de cours et à côté des salles de classe ?! Je vis avec comme si de rien n’était mais l’information est là, trainer dans les couloirs de son collège n’est pas sûr, se rendre aux toilettes non plus et les agresseurs pouvaient se cacher dans n’importe lequel de mes camarades. L’histoire datait de moins de 4 ans, peut-être même que l’agressée, les amis de l’agresseur étaient encore au collège ou au lycée du même nom à quelques mètres du collège. Je commençais à comprendre la peur de ma famille de me laisser aller dehors seule, malgré tout je me rendais compte que ce nouveau collège était finalement plus dangereux mais plus arrangeant pour la cantine, la proximité, le prix aussi. On me pensait plus à l’abri car moins loin et plus âgée, au contraire je l’étais de moins en moins et surtout ne j’avais pas les moyens et les réflexes pour me défendre.
Je n’étais pas préparée, pas habituée à cette liberté, au droit de sortir pendant les heures de permanence, de traîner en ville sans le dire aux parents. On prenait le prétexte que j’étais tout près de la maison pour se dire qu’il y avait moins de risques, ça semble incensé pourtant quand vous ne savez même pas qui sont vos voisins. Mais on connaissait bien tous les voisins de l’immeuble alors ça donnait confiance. Qu’en est-il des voisins du quartier ? Du club de strip tease à l’angle de la rue et de ses bars ?

La seconde chose qui m’a perturbé c’est un garçon. Moi qui n’était que désabusé, j’aimais pourtant les potins et les chichis des autres couples mais je ne m’attendais pas à voir en quelqu’un le grand amour. Il avait un peu moins de deux ans que moi, il était mignon par son visage enfantin qui a par la suite disparu au profit d’un visage que je n’aimais plus, d’un masque cachant un monstre, un visage qui avait perdu innocence et gentillesse.
C’est dur comme mot pour un ex mais l’histoire est compliquée et j’y reviendrai. J’étais en 4ème, lui en 6ème. Il n’avait rien de particulier et lui aussi trainait en jogging, bien que les siens avaient au moins l’avantage de ne pas être estampillé Nike ou Adidas et de ne pas être bleu turquoise. C’était simple et agrémenté de T-shirt à motifs sympa, ça ressemblait plus au look d’un skatteur. Je n’y accordais pas d’importance à l’époque alors qu’aujourd’hui le fameux jogging estampillé, souvent bleu turquoise ou marine est un motif de rupture voir de divorce et est déjà un symbole qui provoque la méfiance chez moi. Déjà parce que c’est une coueur moche à mes yeux, qu’un jogging c’est fait pour faire du sport et surtout parce que j’ai vu beaucoup d’hommes me mettant mal à l’aise en porter.
Le traumatisme principal du jogging bleu turquoise c’est surtout que depuis des années, il est associé aux racailles qui trainent dans les bleds, des gens déscolarisés à 16 ans, ou qui n’ont pas eu le bac et n’ont pas cherché à l’avoir, ou qui n’ont pas souhaité choisir un métier légal et souvent pas choisi de métier tout court. C’est l’image que je me suis, et qu’on m’a construite, avec les médias, la famille, les amis, l’entourage. Ce jogging c’est le symbole des gens par défaut non-fréquentable, à ne pas s’approcher sous peine d’être propulsé dans leur monde malsain et peu enviable, c’est aussi devenu un point d’identification de l’agresseur présumé. Ces gens là, ces « gars en jogging » car oui ce sont majoritairement des gars, bien que parfois il y ait une ou deux filles dans le groupe, filles qui ont fini par succomber au jogging et aux vêtements larges, bref ces gens-là n’ont rien à faire, n’ont pas de travail ou d’études alors ils trainent, s’ennuyent et emmerdent le monde pour se sentir exister, voilà comment les gens les voient. Comment moi je les vois. En ont-ils conscience ? S’en fichent-ils ? En jouent-ils ? Est-ce la paranoïa qui me fait me poser toutes ces questions ou sont-elles aussi dans ta tête ? Sans doute j’extrapole beaucoup sur ces « joggings bleus » mais c’est fidèlement ce que moi je pense et ressent, sans doute aussi parce qu’après le collège je n’en n’ai plus vu. Ces gens ils ont été triés avant moi par l’école, pour aller dans des filières techniques et ensuite ne pas aller dans les mêmes écoles ou université que les gens qui on fait un bac S comme moi.
Ce tri bien-sûr, il n’est pas sain. I professeur un jour à dit de moi que je ne serai jamais capable de faire S et d’avoir mon bac, je devais selon lui aller en STL pour continuer la biologie. Ce n’était que le premier trimestre et ma moyenne dans sa matière était de 9. Rien d’irratrapable, pas un comportement pour étayer le propos, juste l’envie d’un prof de m’écarter d’une filière, d’un bac scientifique, d’un projet de carrière qui le dérangeait lui.
J’ai conscience que ces gens dont j’ai peur, ils ont subi le système, certains ont dû se battre pour continuer l’école, pour avoir cette chance de faire des études supérieures. Beaucoup ont été mis à l’écart dans des filières que tous considèrent au rabais.
Aujourd’hui je peux vous dire qu’aucune filière ne vaut pas le coup. Elles ont toutes des avantages, toutes une valeur égale et surtout la bonne filière c’est celle qui nous oriente vers notre projet de métier et vers des matières qui nous plaisent. Aucun professeur n’a a juger vos envies ou vos projets, personne n’a le droit de vous dire que vous n’êtes pas fait pour tel ou tel métier si c’est ce que vous voulez vraiment, un métier qui vous plait c’est le début du bonheur et c’est important puisqu’on va passer 40 ans de nos vies à l’exercer.

A l’époque j’avais aussi une sale tendance à saboter mes relations sentimentales pour voir les réels sentiments des gens en face. Je perdais patience, enfin je connaissais les frémissements qu’avaient connues les autres sept secondes durant dans un placard. Je passais mon temps à tester les gens pour comprendre qui tenait à moi et surtout pourquoi. J’avais peu confiance en moi et c’est en quatrième que j’ai réellement connu le harcèlement scolaire. Ce n’était pas sévère, ça ne m’a pas traumatisé non plus mais ça a instauré une peur malgré tout, et j’ai eu la chance que ça ne dure pas, peut-être de par mes réactions, de la chance, d’une meilleure amie à moi avec qui je faisais bloc. Les harceleuses étaient deux, l’une était suiveuse l’autre un peu plus meneuse et moqueuse, les deux animées de jalousie et de haine sans raison particulière. Il n’y a pas eu de moments déclencheurs. Souvent le harcèlement était sous forme de rires, de moqueries quotidiennes, sur mes vêtements, mon physique, mes relations. Je me souviens d’une fois en sport où elles sont venues me demander si j’aimais les Rolling Stones et quelles étaient mes chansons préférés juste parce que mon T-shirt montrait la fameuse langue rouge sur un fond jaune canari. J’ai répondu normalement et elles se sont moqués, parce que j’aimais ce groupe, parce que je ne connaissais pas toute leur discographie pour autant, parce que selon elles avoir le t-shirt c’était être fan et que si on ne savait pas tout sur tout d’eux c’est qu’on voulait se faire passer pour une fan, pour se créer une personnalité. C’était ridicule et souvent moi et mon amie nous leur répondions.
Elles venaient de familles aisées, ne manquaient de rien, suivaient chaque nouvelle mode, méprisaient les gens qui n’en faisaient pas de même. Elles me disaient sans personnalité alors qu’elles ne faisaient que suivre ce que l’industrie de la mode et du disque mettait en avant pour changer deux semaines plus tard, passant de fille modèle à emo, à gothique, à skatteuse, à avoir un blog, à faire de la tektonik et d’abandonner le tout par la suite.

C’est à cette période que j’ai découvert vraiment Skyblog et que j’ai créé mon premier blog moi aussi, sans l’accord parental puisqu’on me l’avait refusé sans explications. Comme n’importe quel ado à qui on refuse quelque chose sans explication j’ai bravé l’interdiction via loveusechocolat, c’est une appelation à laquelle je tiens encore beaucoup, le symbole de l’interdit, du courage, de la liberté virtuelle. J’y partageai des images emo et tektonik trouvées sur internet, les deux vraies modes que j’ai suivi, bien que pas forcément glorieuses, j’ai partagé mes photos à moi, mes pensées, mes groupes favoris, un début d’amour pour le graphisme. Mon grand truc à l’époque c’était Avril Lavigne, les jupes à carreaux, les ceintures cloutées et les T-shirts noirs à motifs fluo jaune et rose. Très vite, je ne sais pas comment d’ailleurs, les harceleuses ont trouvé mon blog et ont commencé à laisser des commentaires anonymes désagréables. On était passé au cyber-harcèlement, semblable au scolaire mais sur le net. C’était les mêmes répliques, les liens avec le collège étaient visibles dans leurs mots, elles-mêmes n’hésitait pas à me parler de mon blog IRL. Au départ j’ai fui, souvent, changeant de blog, de pseudo, d’identité numérique pour leur échapper alors qu’elles n’avaient pas besoin de se cacher. Je n’en n’ai pas parlé à un professeur mais pour autant elles se sont lassées, ont changé d’établissement. Moi je ne voyais que ma victoire dans leur échec scolaire. Je me réconfortait comme je pouvais, me disant que non elles ne me connaissaient pas, que ça ne me changerait pas, que je ne me sentirai pas obligée de suivre toutes les modes.
J’avais gagné le droit d’être tranquille sur mon blog, de partager ce que je voulais sans recevoir des commentaires rageux et rageant. La haine semblait s’être éloignée.
Internet c’était une libération en quelque sorte. J’étais libre de faire ce que je voulais et on ne passait pas son temps à m’épier. Je découvrais pleins de choses, sans pour autant être à l’abri des pervers parce qu’il suffit d’ouvrir le chat de Skyock pour se rendre compte de la facilité de contacts avec eux et leur avidité maladive pour les enfants. Déjà à l’époque ils semblaient comme des pauvres types en chaleur, soumis à leurs pulsions animales. Il y avait des pervers plus âgé, environ 25 ans, qui cherchaient de la mineure, il y avait d’encore plus vieux pervers où on les imaginait tout de suite devant une école primaire tout nu avec des bonbons et un manteau long, enfin il y avait aussi les adolescents qui cherchaient des expériences pour se vanter dans la cour du collège, pour avoir l’impression d’être comme les autres et de ne pas avoir rien fait alors qu’à cet âge, personne n’avait rien fait justement.
Moi j’étais un peu loin et près en même temps des garçons. Je cherchais sans chercher, trop déçue du primaire et très accaparée par internet. La chose dont j’étais la plus sûre, c’était que le prince charmant n’existait pas.











La lumière, puis la nuit. Voilà, ctait exactement cela. Les jours qui passaient éternellement derrière mes rideaux fermés. Ctait pire que la nuit, ctait plus horrible encore avec les cauchemars qui me hantaient. Et j'étais seule face à la douleur. Pure. Violente. Dévastatrice. Ctait une plaie à vif qui saignait chaque seconde, qui scindait mon âme en deux. Je ne pouvais rien, je n'avais plus la force. Je ne souriais plus, je ne riais plus, je n'étais plus là. J'avais les yeux ouverts, pourtant il n'y avait personne derrière. Les pupilles vides comme celles d'une poupée, aussi inerte que les feuilles mortes d'automne. Après les jours ctait des mois entiers qui scoulaient sans que rien ne change. C'était toujours la pluie et la nuit, les larmes et la douleur. Ctait comme si je ne respirais plus, je ne vivais plus, jtais bloquée en moi-même dans une apnée permanente. Jtais une épave. Une épave sans vie, sans rien d'autre que l'ombre d'une vie passée avec le seul souvenir de la douleur dans mes entrailles, car il ne restait rien d'autre que cela. Il n'y avait plus aucun souvenirs auxquels se rattacher, ne serait-ce que pour prouver son existence. Il y avait un vide en moi, au plus profond, à l'intérieur de chaque recoin sombre. Et s'il appelait à être comblé, rien ni personne ne pouvait m'aider. J’avais perdu l’espoir de retrouver le goût, ou qu’il puisse me surprendre.

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