C'est toute une histoire d'écouter aux portes. C'est assez sordide en fait, selon les mœurs et les motivations qui nous poussent à être planté là, derrière la porte de quelqu'un d'autre. Et qu'est-ce qu'on en apprend des choses derrière une porte ! Par le trou infime d'une serrure. C'est intriguant une serrure. Surtout les voix qu'on entend par là. Et encore plus quand on est humain. Parce qu'on aime faire des erreurs quand on est humain. On entend des choses qu'on ne devrait pas. On se sent l'âme aventurière et l'on devient un espion. On brise les secrets par un simple trou de serrure et une oreille indiscrète. On a le coeur qui palpite, on y prend goût, on est à un endroit où l'on ne devrait pas. Le sentiment fugace d'être un enfant qui brave l'interdit. La peur de se faire prendre. D'être sermonner. Et toute cette future gêne qui nous empêtre.
Alors on frissonne du plancher qui grince, d'un bruit de pas dans les escaliers, une clé que l'on tourne dans la porte, un claquement de fenêtre aux jointures usées, un couinement, un mot étranglé. Jusqu'à une infime bourrasque de vent qui secoue avec applications, au moment où l'on s'y attend le moins, les branches d'un arbre. On s'imagine des choses en entendant des cris, des éclats de voix ou des jouissances démesurées qui percent les murs et s'étendent au-delà des immeubles. Tout comme l'on peut espionner un voisin qui prend sa douche par les fenêtres de la rue d'en face. On est enivré par les secrets, l'envie de Savoir, de connaître l'espace d'un instant, la vie de tout un immeuble. Le plaisir d'entendre sans être entendu, de voir sans être vu, de savoir tout en restant incognito. Cette palpitation se répend sous la peau, elle court dans la chair. Le sang bat dans les tempes mais ensuite c'est une autre affaire que de tenir sa langue. De savoir tout des autres, de repenser aux disputes lorsque l'on croise le mari pas encore soûl dans la cage d'escalier. C'est dur de ne pas baisser les yeux. De supporter le poids des peines et des regrets de ceux dont on porte le fardeau.
Et le poids des soupirs lorsque la femme revient des courses. Regarde-la bien parce que ce ne n'est pas le poids des sacs qui lui fait courber le dos. C'est la lassitude du quotidien qui l'assomme et la charge. Ce ne sont pas de bêtes blessures de cuisinière qui orne ses mains et ses bras. Ses brûlures et ses bleues. C'est son mari contre lequel elle doit se défendre et qui lui fait mal. Ce mari qui boit sans savoir pourquoi. On se demande ce qu'il veut oublier par cette ivresse soulageant sa souffrance. Alors regarde-la bien cette femme qui monte les marches avec encore la tête haute. Regarde-la parce qu'elle a du mérite de ne pas s'enfuir et d'endurer pour ses enfants. Regarde ses cernes violacées car elles prouvent qu'elle ne dort plus beaucoup et ses yeux tout gonflés parce que désormais elle passe le peu de temps qu'il lui reste pour elle à pleurer. Tout ça ce sont les preuves formelles et définitives des bruits que tu entends le soir derrière une porte. Le sanglot étouffé qui murmure à ton oreille indiscrète. Fais-bien attention à détailler son visage, à déchiffrer ses expressions. Ses rides qui soulignent son visage, elle devient vieille derrière sa beauté. Elle souffre, elle a les mains râpeuses et calleuses d'avoir trop côtoyer la vaisselle et les produits d'entretien. Son coeur lourd durcit ses traits. Et ses jambes flageolantes sous son pantalon de toile, ce n'est pas non plus la douleur des membres qui ont trop marchés. Mais la peur la dévore et elle ne peut rien y faire. Elle a beau paraitre forte, courageuse. Dans le fond elle n'est qu'une femme, avec ses doutes et ses faiblesses. Elle doit encore retrouver son mari violent derrière la porte de chez elle. De chez Eux malheureusement. Elle ne montre rien soi disant, pourtant elle craint, elle a peur de recevoir les coups, de peut-être lâcher prise... Voir de mourir. Alors occulte son soupir de fin de journée, pour elle la journée ne fait que commencer. C'est le soupir d'une condamnée que l'on va exécuter.
Prends-garde aussi au regard noir de la vieille fille du troisième étage lorsqu'elle a l'horreur de croiser sa jeune voisine qui vient à peine de se marier. Elle jouit chaque nuit dans son bonheur absolu et la vieille femme rabougrie a le coeur meurtri et creusé par la jalousie et la haine. Elle, elle n'a jamais connu l'amour derrière sa peau aigri et sa carapace épaisse.
Regarde aussi le sourire satisfait de la jeune mariée. Et décèle dans les larmes de la vieille du cinquième l'espoir qu'elle perçoit telle une lame tranchante sur sa peau frêle dans ce jeune couple très amoureux.
Reconnais l'écrivaine qui se réchauffe à la douce lumière du soleil chez l'adolescente du deuxième.
Observe les bien tous, ose apprendre à les connaitre. Ces familles qui se lient, qui se déchirent. Ses murs qui les abritent, qui voient les gens passer, arriver et partir. Leurs souvenirs intemporels qui tâchent ces murs au fil des époques qui se succèdent. Tout ça dresse une tâche sombre, un nuage noir au-dessus de leurs têtes. Soulève en silence le voile de poussière qui les couvre et les protègent. Prends-tout le temps nécessaire pour les prendre sous ton aile.
<< Mais surtout n'oublis jamais que tu es le gardien du silence.
L'écouteur aux portes des secrets qui voit et entend tout. >>
Cette fois regarde-moi bien. Chaque infime trait de mon visage et chaque lueur de larmes dans mes yeux brillants. Parce que c'est moi ce soir qui hésite dans le noir du couloir et dans le silence de la cage d'escalier. C’est moi qui hésite la main levé, à quelques centimètres de sa porte. Je ne me rends pas compte mais je me retrouve à écouter. A attendre un signe infime. Un feu vert qui me donne le courage de toquer. Je tâtonne, cherche la serrure, la perd de vue. J'entends un murmure. Il m'intrigue, j'essaye de le comprendre, de le distinguer plus clairement, je tente de l'apprivoiser, de le faire revenir. Mais non. Il ne se reproduit pas. Je trépigne. Mon cerveau est en ébullition. J'ai l'impression de l'espionner. Je ne devrais peut-être pas être là, à l'improviste, à cette heure tardive...
Pourquoi je suis là déjà ? Tout ce dont je me rappelle c'est cette fièvre qui m'a réveillée. Elle me priait, me suppliait d'aller le voir. Je ne comprends plus maintenant ce qui m'a tiré du lit. Quelle idée saugrenue m'a poussée vers lui à cet instant ? J'ignore toutes ces raisons qui m'ont convaincues d'arriver jusqu'ici. Malgré tout, j'hésite. Ma main à quelques centimètres de la porte. Et ce murmure ? Qu'est-ce que c'était bon sang ? Je me sens toute bête. Je tente de bouger, je me balance d'un pied sur l'autre, je commence à avoir des crampes, depuis combien de temps suis-je arrivé ? Le plancher grince sous mon poids. De suite je m'immobilise. Pourquoi un murmure chez lui ? Après tout, il est seul. Alors pourquoi ? Comment ? Le téléphone ? Non, je n'entendrais pas deux voix.. Je dois me faire des idées, je deviens folle et mon esprit a dû imaginer ce murmure de conversation. A moins qu'il ne vienne d'ailleurs. De chez les voisins ? De la cage d'escalier derrière moi ? J'en frémis, si on me trouve, si on me voit, que répondrais-je ? Hormis ceci je ne me décide pas. J'attends. Je suis trop fragile dès lors. Je n'ai pas le cran de lui signaler ma présence. D'affirmer mon statut de petite amie. Bientôt fiancée peut-être ?!
Seulement, ce soir, je le dérangerais non ? On ne débarque pas comme ça chez les gens en plein milieu de la nuit, sans prévenir. Qui que ce fusse. Et s'il dormait déjà ? Je retournais le problème dans ma tête et mon bras s'engourdissait. Je ne savais que faire. J'hésitais encore et toujours.
C'est mes yeux brillants qui hésitent quelques secondes de trop en voyant le heurtoir. Quelques secondes de silence avant le drame en moi. Quelques secondes lourdes de sous-entendus innocents. Et soudain, me surprenant, j'entendis. J'entendis cette voix féminine. Aguicheuse, tellement près de la porte. Cette voix qui le suppliait. J'entendais et sans m'en rendre compte je retenais ma respiration. Je retenais mon souffle !
<< - Je t'aime. Tu es mon amour. Alors qu'est-ce qui te retiens ? Laisse-toi aller bébé, contre mon corps chaud. Je sais que tu ressens ces frissons lorsque j'effleure doucement ta peau. Et tes bras musclés qui se contractent lorsque je passe ma main dans tes cheveux. Laisse-toi aller ! Je sens que tu m'aimes. >> Chuchota-t-elle une dernière fois.
Je m'effondrais intérieurement. Premièrement, il n'était pas seul, loin de là. Deuxièmement, il n'était effectivement pas en train de dormir. Troisièmement et certainement le pire constat : Je le dérangeais. Je le dérangeais sacrément même ! Il était si bien occupé ! Et moi, pantoise, l'air d'une bête effarouchée derrière la porte. Qui observe et qui reste sans rien faire lorsque son petit-ami va la tromper.
Ce soir j'hésitais à faire un choix et le destin, la vie, m'avaient laissés quelques secondes pour me donner l'illusion d'avoir les cartes en main, le choix. Quelques secondes qu'ils m'ont repris aussitôt. Me laissant seule et abandonnée sur le bord de la route.
Je l'imaginais se coller contre lui. Lui ! C'était impossible. C'était un cauchemar. Ma main en suspension retomba lentement sur mon flanc. Elle me pesait, comme si elle était brusquement devenue lourde. Je baissais la tête. Tout mon corps m'était devenu étranger. Il y en avait une autre dans sa vie. Sa vie à lui. Lui, celui que j'aime. Je cessais d'exister à cet instant précis. J'étais réduite en poussière. A ramasser à la petite cuillère. Mon coeur avait cessé de battre à tout jamais. Mon cerveau me brûlait. Tout mon corps se mettait en branle. J'étais en apnée mentale. Ma respiration haletante, je ravalais mes larmes et oubliait ma gorge irritée par les sanglots. Je tentais de réprimer au mieux que je pouvais les spasmes qui m'emprisonnaient. Avant d'avoir pu me remettre des émotions que je venais de me prendre dans la gueule, la voix avait déjà reprit. Rauque et sauvage. Je la devinais collée sensuellement contre le mur du couloir. Sa voix était trop claire et résonnait creux dans ma tête. Je ne sentais plus mes jambes, tout mon corps était engourdi. Le vertige me guettait de peu. Moi qui avais eu tellement confiance, désormais que penser ?
<< Prends-moi. Caresse mon corps de tes mains, comme ça. >>
Je la voyais dans mon esprit. Se caresser et passer ses mains blanches sous son t-shirt. Lui en face, la regardant faire de son air troublé. Cette vision d'horreur me glaça le sang. Et lui l'homme que j'aime, dont je croyais les sentiments purs et réciproque, ne disait toujours rien. Ne protestait pas.
Ma conscience m'intimait de faire quelque chose, de réagir. Mais je restais coite. Muette dans ce presque silence. J'étais dans l'incapacité de bouger. Mes membres ne me répondaient plus. Cette conscience qui m'hurlait de frapper avant que l'irréparable ne se produise ou bien il me restait l'option la plus simple : la lâcheté. J'étais libre de prendre mes jambes à mon cou, de l'oublier, de ne plus jamais le voir ni lui répondre. Pourtant je ne bougeais toujours pas. Je n'arrivais pas à me décider encore une fois ... Et si je prenais mon courage à deux mains.. Je peux faire front ?
Ma conscience se réveilla d'un coup, me faisant sursauter.
"Tu ne peux rien faire pauvre idiote. Tu n'as pas le courage ni l'étoffe pour faire front. Dès que tu verras cette autre fille tes défenses s'effondreront. - Je l'aime. C'est ma seule défense. Je l'aime même si parfois j'en souffre. - Tu es idiote ma pauvre fille. Tu dis-ça mais tu ne sais rien de l'amour. - Arrête. Tu n'en sais rien. Tu crois que c'est facile de vivre ? D'aimer ? De souffrir aussi ? - Je suis là pour te conseiller, te guider. Si tu n'es pas contente ou trop imbu de toi-même pour apprécier ma compagnie et bien débrouille-toi Seule ! Si tu ne fais jamais confiance aux gens comment pourraient-ils te faire confiance et avoir envie de rester avec toi ? Tsss."
Et elle m'a plantée là. Moi. Ma propre conscience! Cette fois j'étais plus seule que jamais. Ce soir, c'est ma propre descente aux enfers. Je tentais d'oublier où j'étais. Je fermais les yeux et imaginais des rochers, la mer qui frappe les falaises. Le vent qui se lève et l'écume blanche dans mon esprit.
Pourtant j'étais toujours immobile derrière la porte, me retenant au mur pour ne pas tomber, j'entendis dans un ultime murmure.
<< Viens avec moi. Allons faire ça dans l'escalier. Suis-moi. >>
Je m'intimais de partir, fermant à demi les yeux, je longeais le mur de la main. Chancelante je descendais les escaliers, m'arrêtait sur la dernière marche du bas, n'en pouvant plus. Je tremblais, pourtant j'entendis puis je vis avec mes yeux larmoyants, par l'interstice infime de la rambarde et du sol, la poignée de la porte pivoter. Elle et Lui qui sortait par l'encadrement. Elle le tenait par la main, le trainant derrière elle. Il avait l'air perdu, l'air hagard de quelqu'un qui hésite. Et ça ça m'a fait mal. Qu'il hésite. Il aurait dû la repousser tout de suite s'il m'aimait vraiment. Un mal de chien qui me nouait les entrailles à en hurler. Il a baissé les yeux vers la cage d'escalier et j'ai croisé son regard. Le sien était vide et lointain. Comme recouvert d'un voile laiteux. J'avais l'impression de voir un drogué ou bien qu'il était en transe. Le mien de regard était rempli de larmes, j'étais prise d'un soudain vertige. Il fallait que je parte, le plus vite possible. Je ne pouvais plus supporter son regard, son étonnement, son air de "je suis désolé". C'en était trop pour moi alors je descendis la dernière marche, sans un autre regard derrière moi, je me suis engouffré par la porte de l'immeuble en prenant soin de la faire claquer dans un bruit sourd. Je resserrais mon ciré autour de ma taille et me retrouvais dehors, seule, dans ce froid, sous l'ondée de pleine lune qui narguait ma tristesse en brillant. J'étais abandonnée, pire qu'un vieux chiffon que l'on jette à la poubelle négligemment. Je marchais les bras croisés, essayant d'adopter une démarche souple qui ne laisse rien paraître. Je suis un roc, rien ne passe, je suis très forte, jamais je ne trépasse. J'essayais de me convaincre. Je devais devenir forte. J'étais seule, je devais me débrouiller maintenant. Je n'avais plus personne sur qui compter. Je suis un roc, rien ne passe, je suis très forte, jamais je ne trépasse.
Je devais être en bien piteux état tout de même. Le rimmel sur mes joues ainsi que mes yeux tout gonflés. Je marchais en ne distinguant que des formes floues tout autour. J'avais cessé de réprimer mes sanglots dès lors que j'avais senti le contact de l'air frais contre ma peau. Déjà je me sentais un peu mieux, je tentais d'oublier ce qui venait de se passer. J'occultais tout. Je suis un roc, rien ne passe, je suis très forte, jamais je ne trépasse. Je marchais une centaine de mètres. J'avais entendu la porte claquer une seconde fois. Ses pas à Lui me suivait, plus rapides que les miens, il courrait presque. Il allait bientôt me rattraper.. Je marchais encore, sans me retourner ni jeter un regard derrière moi. J'entendis ses pas plus proche puis une main se poser délicatement sur mon épaule.
<< - Attends. >>
Proposition de fin n°1.
J'avais le choix de me retourner. De lui faire face une dernière fois. Malgré les larmes, malgré le chagrin et mon coeur brisé, je lui fais face. Je me tiens droite devant lui. Je ne cille plus. Il a cette moue horrible d'excuse sur ses lèvres. Il m'horripile. Ca y est, je ne le supporte déjà plus. Sa main est toujours sur mon épaule. Le silence entre nous s'étend. Il enlève sa main de mon épaule un peu brusquement comme si je l'avais électrocuté. Je soupire, s'il n'a rien à me dire ça ne sert à rien de rester là. Je commençais à me tourner pour repartir ...
-Non attends ... Ecoute.
-Quoi ?! Glapis-je en l'agressant. Il eut un léger mouvement de recul.
-Angelina... Je .. Pardon.
- Pardon ?! Mais je m'en fou de tes excuses ! Je m'en fou complètement !
-Calme-toi. Je sais tout ça est impardonnable mais..
- C'est certain, ça l'est ! Répliquais-je d'un ton sans réplique.
-Je n'arrivais pas à la raisonner. Comprend-moi.. J'étais prisonnier de mon propre corps. Englué. Incapable de bouger. Je n'aime pas cette fille. Il faut que tu me croies…
-Oh tu parles! Elle a bon dos ta pétasse.
-Je t'assure ! Dans mon coeur tu es la seule. La vraie. L'unique. Depuis toujours.
-Oh arrête hein ! Tu vas me faire croire que c'est la première fois aussi ?!
-Je m'en veux tellement si tu savais. Je m'en veux de te faire pleurer.
-C'est un peu tard pour penser ça.
-Je sais que tout ça est impardonnable. Je le sais. Pardonnes-moi !
-Ben voyons! Tu es un lâche. Tu n'assumes jamais tes actes. Tu ne choisis jamais. Tu ne sais rien de la vie ! Rien ! Tu n'es qu'un gosse de riche qui est né avec une cuillère en or dans la bouche ! Tu ne sais rien du travail, rien des responsabilités, rien du respect d'autrui ! Tu n'as jamais dû faire des choix comme moi ! Tu ne sais pas comme j'ai du trimer pour en arriver là, Arriver à m'en sortir. Alors j'ai pas de temps à perdre avec toi ! Laisse-moi. Pars.
-Je t'en prie.
-Je m'en fou de toi désormais. C'est fini ! FINI !
Je me défoulais. Ma voix montait crescendo dans les aigus. Je perdais pieds. Ce mal qui émanait de moi me remplissait tout entière. Il prenait toute la place, il occupait entièrement mon esprit. Je boue intérieurement, je n'en peux plus de lui. J'ai beau lui pardonner, il se tourne toujours vers une autre. Cette fois c'est fini, je ne cèderais plus jamais. Je ne suis plus la même, Moi. Moi j'ai évolué et lui n'a rien appris, rien retenu de la vie. Je n'ai plus rien à faire ici. Alors il m'a regardé partir. Moi je ne pleurais plus, je m'éloignais la tête haute, j'effaçais du plat de la main le rimmel séché sur mes joues. J'ai avancé sans plus jamais me retourné. Je l'ai laissé sur place. Il n'a pas bougé. Immobile. Comme il l'a été toutes ces années. Sans rien faire. Inutile. Encombrant. Je l'ai laissé là les bras ballants jusqu'à ce qu'un coup de vent le déterre du sol. Il était vide ce garçon, il ne vivait pas, il se laissait porter par les autres. Je n'avais rien à faire avec. Il fallait que j'aille de l'avant. Puis j'ai tourné au coin de la rue et nos vies se sont quittées dans cette rue.
J'ignorais encore tout de ce qui allait se passer. Je ne le sus que plus tard, dans les journaux, le lendemain. Qu'un garçon âgé d'une vingtaine d'années s'était fait fauché par une voiture tôt dans la matinée. Et c'était vrai. Il n’était qu'un garçon. Un gars comme un autre, un inconnu mort à la une du journal comme bien d'autre avant lui. J'ai compris depuis, que bercé par tes illusions, tu n'avais pas bougé. Le conducteur aussi le sait, il affirme que "la victime" était là au beau milieu de la route, qu'il n'a pas cillé lorsqu'il a vu que la voiture n'aurait pas le temps de s'arrêter. Ce garçon n'a pas bougé, comme un observateur, un spectateur de sa propre vie. Aujourd'hui il est mort. Et je m'en fiche. C'est bien triste pour lui, mais à quoi bon pleurer sur son sort.
Proposition de fin n°2.
J'avais le choix de me retourner. De lui faire face une dernière fois. Malgré les larmes, malgré le chagrin et mon coeur brisé, je lui fais face. Je me tiens droite devant lui. Je suis chancelante mais je tiens encore debout. Il ne sait pas quoi dire. Il n'est pas à l'aise lui non plus, je le vois bien. Il se trémousse l'air gêné et triste d'un enfant pris en faute. Il a cette moue d'excuse sur le visage, ça me fait mal. Il retire sa main sur mon épaule. J'attends. J'attends ses excuses bêtes et stupides. Aussi bête que moi si je parviens à le croire.
<< Angelina... Je .. Pardon. Je sais tout ça est impardonnable. Je n'arrivais pas à la raisonner. J'étais prisonnier de mon propre corps. Englué. Incapable de bouger. Je n'aime pas cette fille. Je t'assure ! Dans mon coeur tu es la seule. La vraie. L'unique. Depuis toujours. Je m'en veux tellement si tu savais. Je m'en veux de te faire pleurer. Je sais que tout ça est impardonnable. Je le sais. Pardonnes-moi ! Je t'en prie. >>
Que pouvais-je répondre à ça... J'étais cruche, nouille, stupide, tout ce que vous voulez. Mais j'étais surtout amoureuse, et vous savez bien, les amoureux font des bêtises. Alors comme une pauvre conne je me suis laissé berner encore une fois. Je n'ai rien sorti de ma peine, de ma douleur. J'ai écouté en silence et au lieu de tourner les talons, de lui tourner le dos, je me suis jetée contre lui. J'ai séché mes larmes en respirant son odeur, j'ai pris ma dose personnelle d'héroïne. On s'est étreint longtemps, sans mot. Sans un bruit hormis quelques voitures au loin sur la grande avenue. J'ai vu par dessus son épaule l'autre fille qui s'éloignait dans la nuit. J'en ai été tellement soulagé. J'étais si cruche de ne pas penser que peut-être elle pouvait très bien revenir. J'ai savouré sa peau douce à lui, ses bras sur mon corps frêle, on est remonté à son appartement. Le lendemain, toujours autant stupide, je me suis réveillé dans ses bras, avec l'illusion en tête et ces quelques mots : Tout va bien. Rien de grave.
Pourtant je savais, j'avais encore la boule d'angoisse au ventre, que ça allait recommencer tôt ou tard...
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