Décrocher la lune.


Comment aurai-je pu savoir que le fait que tu me quittes soit la meilleure chose qu'il pouvait m'arriver ?
Ca parait invraisemblable de vouloir écrire des maux confondus maintenant qu'il est trop tard. Les coucher délicatement sur le papier alors que tout est fini. Ce serait me faire du mal je suppose, mais il faut croire que je suis tellement vide désormais que mon coeur ne ressent plus rien. J'ai vidé toutes les larmes qu'il me restait sur le papier. C'est dur d'être prête quand on se remet tout doucement, c'est difficile d'accepter de perdre le contrôle lorsqu'on est une victime de l'amour. Ca devient presque impossible de refaire confiance. Sauf à la même personne peut-être ? Mais je peux me gratter. Il ne reviendra pas alors à quoi bon n'est-ce pas ? Mais je suis bête et innocente, alors j’attends en silence, que l'on me laisse une chance de me reconstruire.
Je ne peux pas tourner la page et je m'accroche un peu plus à chaque seconde, à chaque souvenirs, j'espère simplement que les vider dans l'oubli pourra me les sortir à coup de pelle sur le coeur de mon passé qui aurait pu être formidable.
"Alors cette après-midi je pousse la porte de la croissanterie. La cloche tinte mélodieusement. La salle est presque vide, juste un autre couple sous la mezzanine, contre le mur qui se regarde amoureusement. J'ai comme un pincement au coeur en pensant à lui et moi, ce fameux jour. La serveuse a levé la tête, d'ailleurs je crois bien qu'elle ma reconnue, encore plus que mon air triste et ravagé lui a mit la puce à l'oreille. Elle a une bonne quarantaine d'année, dans ses yeux elle a une petite lueur de peine et de pitié, comme beaucoup de gens qui me croisent dans la rue lorsqu'ils me voient comme une pauvre petite gosse que la vie a sauvagement jeté sur le chemin, à coup de pied au cul. Elle avait l'œil brillant, et je devinais qu'elle se souvenait. Elle a regardé les deux amoureux, puis moi, puis la porte, puis les amoureux, puis moi .. et elle a rabaissé la tête, fuyant mon regard au bord des larmes.
Ce jour-là c'était notre dernier rendez-vous, si encore l'on peut appeler ça un rendez-vous. Déjà nous n'étions plus ensemble, mais tu as insisté pour me voir, ici, dans ce "café". Il est toujours un peu vide, le temps ne semble pas avoir court dans ce petit bout d'immeuble de Brooklyn. Je ne sais pas pourquoi tu as voulu me voir à cet endroit. Peut-être voulais-tu enfoncer le clou encore un peu, histoire de te faire plaisir, ta façon de me dire que tout est fini, que notre chemin ne se croisera plus.
On a vécu notre premier rendez-vous dans ces murs, il a été suivi par beaucoup d'autres, très joyeux, je ne me doutais pas qu'un jour ce serait moi la pauvre fille qui pleurs en errant dans les rues, sous la pluie, seule et complètement trempé. Non, je ne me doutais pas que je finirais comme elle, je ne sais pas si tu t'en rappelles, à l'époque tu étais encore toi même, jeune et insouciant, tel un papillon qui rêve de prendre son envol. Tu n'avais pas encore muté en cet homme qui veut une femme parfaite, belle, un peu stupide mais qui présente bien toujours en tailleur avec zéro gramme en trop. Cette fille qui doit être "intelligente" et qui tient bien son appartement. Tu es devenu cet homme que j'ai appris à haïr avec sa montre aussi grosse qu'une horloge, tes costumes pompeux et voyant. Tu avais toujours l'air classe, un commercial qui a quelques ridules malgré son jeune âge, toujours pressé, jamais à la maison, qui ne veut pas d'un enfant fait par vous, qui n'a pas le temps de vous voir.
Alors cette pauvre fille, on l'avait croisé dans les ruelles pavées du vieux quartier lorsque tu n'avais pas encore changé, c'était un peu avant que tu deviennes un monstre. Mais peut-être était-il déjà en toi ?
Nous on riait comme des fous et elle a surgit d'un coin de rue, sous un réverbère, ses larmes se mélangeaient à la pluie. Le ciel se déversait sur son amour et son coeur brisé. Si j'avais su que cela m'arriverait quelques années plus tard ...
Lorsque j'en suis sorti ce jour-là, il pleuvait sur la ville, il pleuvait sur mon coeur, toi tu n'étais pas resté longtemps, tu avais des choses à faire il parait. Mais je t'ai vu par la fenêtre, un taxi t'attendait en face et elle était déjà à l'intérieur. Mais avant ça j'ai pris mon temps, avant que tu n'arrives, avant que tu t’asseyes en face de moi, avant que tu me balances toutes tes méchancetés doucereuses à la figure. C'était moche ce que t'as fait. Et après je n’étais pas belle à voir. Tu m'as fait vieillir, tu es le perpétuel nuage sombre au dessus de ma vie qui crée tout ces orages.
Alors en allant dans ce café, il ne fallait pas que je commence à pleurer. A l'époque j'étais toute faible, mais d'une certaine façon je suis assez fière, je n'avais pas pris de cachet ce jour-là, ma colère était bien réelle. Il fallait que je paraisse forte, que je te donne l'illusion que ma vie était bien mieux sans la tienne bien que je ne le pensais pas encore. Alors je suis monté à l'étage sur la mezzanine, comme autrefois
. Si proche et pourtant si loin. L'escalier grinçait, il n'a pas changé lui. Je sentis la rampe froide sous mes doigts, elle m'est si familière. Je montais les quelques dernières marches d'un pas léger mais avec le coeur lourd de regrets. Je me suis dirigé sombrement vers notre table. J'ai tiré la chaise vers moi avec son raclement quotidien, je l'ai contemplé quelques secondes avant de m'asseoir dessus. Comme si c'était une relique précieuse. Alors j'ai été là, accoudée à cette table, t'attendant juste à côté de la fenêtre à guetter dehors chaque individu te ressemblant. Je ne m'attendais pas à te voir descendre d'un taxi. La serveuse en bas aussi ça a dû la surprendre, elle a du voir le changement en toi, elle savait même que je t'attendais je suppose. Une dernière fois. Elle m'a apporté un café. Celui-là même que l'on critiquait de son goût jus de chaussette mais qu'on prenait quand même parce que quoi qu'on en dise, il était unique, à notre image presque. Elle me l'a servit en silence, sans rien dire, toujours en fuyant mon regard. Elle était un peu gêné et moi aussi d'ailleurs. Elle m'a aussi apporté le croissant habituel. Mais ce jour là je n'y ai pas touché. Après que tu sois arrivé, tu m’as tout balancé, cette autre fille, meilleure que moi. Tu m'as dit que tu avais peu à peu cesser de m'aimer. Mais en soit c'est faux, l'autre garçon en toi m'aimait lui, mais tu as pris sa place doucement, jusqu'à l'effacer définitivement. Et bien sûr ce nouvel Adrien ne m'aimait pas. Alors que moi j'ai tout fait pour te plaire, j'ai tout fait pour être celle que tu voulais que je sois. Je me suis même rendu malade de toi ... Tu as tout balancé, tu as jeté notre amour à la poubelle même si il était pourri depuis déjà quelques temps. Je me suis énervé, j'ai fait la fille qui n'en avait rien à faire, je t'ai foutus tes défauts sous les yeux. Et tu es parti. Tu n'as pas supporté que je te remette à ta place. Je ne sais même pas comment j'en ai eu la force. Le choc je suppose. L'adrénaline ...
Et tu sais des fois ça m'arrive encore de passer devant ce café, je n'ose pas entrer pourtant. Je vois la serveuse derrière le comptoir, elle fait ses aller-retour et je la guette à travers les vitres depuis la rue d'en face dont nous critiquions les passants. Alors voilà, tout est fini. J'aurai aimé que tu veuilles décrocher la lune pour moi.


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