Auto-Destruction



La fin du monde c'était hier mais ça me semble si lointain. Les dernières vingt-quatre heures sont sûrement les plus longues de ma vie. Aujourd'hui il est trop tard pour crier ou pour lui hurler ma peine. Je ne peux plus lui jeter le pot de fleurs que j'ai reçu pour notre anniversaire de mariage, au visage. C'était hier et j'en souffre encore. C'était hier et la vie continue. Dehors les bus roulent comme d'habitude, la circulation est comme elle l'a toujours été, les nuages passent dans le ciel, pour les autres la vie continue. Mais depuis vingt-quatre heures, mon coeur a cessé de battre. Mon âme se retranche dans les ténèbres. Je ne suis pas sortie depuis. Je ne veux plus jamais aller dehors. J'aurai trop peur de le croiser. De croiser sa pimbêche. De croiser les voisins qui me demandent de ses nouvelles à lui et jamais des miennes. J'ai peur de croiser ma sœur avec son bonheur superficiel, son mari fabuleux et son fils premier en tout. Et moi je suis Cosette avec mes torchons et les sceaux d'eau, mes habits vieux d'au moins dix ans, mes cheveux rêches, mes poches sous les yeux et la fatigue qui vieillit mes traits. Le travail qui vient à bout de mes mains, les petites blessures sur mes lèvres qui deviendront des crevasses avec mes larmes salées. Les larmes creusent des sillons sur mon corps, elles trouent ma peau et me prennent mon unique trésor.
Ma propre vie expire dans chacune de mes cellules. Je suis en autodestruction. J'étais partagé comme prise en sandwich entre la France et l'Allemagne pendant la seconde guerre mondiale. Je suis ravagée des deux côtés, en-dedans et en-dehors, on me tire de partout et mon âme meurtrie se déchire. Ce matin je fais n'importe quoi, je renverse le lait dans la boite de céréales, je mets la bouteille de lait dans l'évier, le bol vide à la poubelle et les céréales au réfrigérateur. Le paquet dégouline de partout mais plus rien ne m'inquiète. La fin du monde c'était hier. Depuis, mon encéphale ne répond plus. Dans mon cerveau c'est pire qu'après un incendie dans la forêt amazonienne. Toute l'eau du monde ne pourrait pas éteindre ce feu qui se consume en moi, ce feu qui m'incendie les boyaux et fait saigner mes veines.
Je n'ai pas pu dormir cette nuit, il y avait encore son odeur sur l'oreiller, sa main sur ma hanche et sa silhouette sous les draps. Cette nuit il y avait l'ombre et la lumière, la lueur de la lune d'argent qui traversait les persiennes et qui illuminait sa place vide. Le manque surgit alors, plus dur et plus cruel qu'auparavant. Il a fait de moi un zombie, une presque rien, il m'a pris la lumière et m'a reléguée au rang d'ombre de moi-même. Je ne suis plus rien. Je ne suis personne. Mon propre mensonge lorsque j'ose penser que je ne l'aime plus me résonne dans le crâne. Il m'insupporte et emmène avec lui le vague à l'âme. Cet amour qui me consume est infernal. Connaitrais-je jamais le vrai amour, beau, grand et fort qui ne faute jamais ?
Je me mens à moi-même, j'essaye de me convaincre que je ne l'aime plus dans une énième tentative de sauvetage raté. Personne d'autre ne tient la comparaison. Qu'est ce qu'on peut-être triste ici-bas.
Qu'est-ce qui subsiste à ce raz-de-marée ? Qu'est-ce qu'il me reste de son corps contre le mien hormis ces convulsions frénétiques lorsque je frôle un bout de table, un coin de bureau ? Qu'adviendra-t-il du peu d'existence qu'il me reste puisque je dois continuer sans lui ?
Continuer ... Sans ... Lui. Lui. Lui. Lui.
Il résonne dans ma tête. Il prend toute la place, tellement que je n'ai plus la mienne dans ma propre vie. On m'a volé ma vie. Et le voleur cours toujours au gré du vent, il part voler chez d'autres gens, tout l'amour et tout le bonheur qui emplit cette planète. Il part en grand conquérant, pour laissez dans son sillage que des perdants et des blessés de guerre. Je suis une estropiée du coeur, une grande brûlée de l'âme au service de l'hôpital. Je deviens petit à petit une malade mentale. Et je serais frappée par une maladie neurodégénérative du tissu cérébrale comme Alzheimer parce que mon cerveau aura décidé qu'il a trop mal pour devoir se rappeler de ces souvenirs douloureux. L'où chaque caresse et chaque baiser, se métamorphose et se transforme en une lame sanglante de boucher terriblement bien aiguisée pour frapper là où ça fait mal. Une autre tête sombre humblement devant lui. Tout ça est dans ma tête, mes pensées s'enroulent entre elles pour partir dans tous les sens. Elles tournent et tournent encore, me donnent le tournis et me donnent envie de vomir mon après-midi. Cette puanteur fétide qui se dégage de mon coeur qui commence à pourrir malgré lui. Tout ça est dans ma tête, et mes pensées s'emmêlent à nouveau. Elles vont aussi vite qu'un cyclone, une tempête terrible qui souffle et qui ravage tout sur son passage. Dans ma tête c'est la tornade, la boite qui rencontre l'allumette à côté des bombonnes de gaz. C'est l'explosion nucléaire dans mon être. Mon coeur est une bombe sur le point d'exploser. Ca va me saignez les vaines et les déchiquetés avec des bouts de verres infimes qui feront si mal... Si mal ...
Pourtant il me faut relever le buste, levez le poing en l'air et continuer d'attendre que le temps passe. Peut-être continuer d'attendre jusqu'au bout pour que tu me reviennes mais j'en paye le prix. Je t'ai tellement attendu. Mais hier c'était la fin du monde, sans rage, sans larmes et sans cri. Je t'ai laissé partir, je t'ai laissé décidé sans jamais m'interposer, comme toujours. C'était toi le meneur, tu l'es encore. Constamment, chaque jour depuis la fin du monde.
Même devant les rayons de l'hypermarché du coin, je ne me dis pas de quoi j'ai besoin. Je me demande juste qu'est-ce que toi tu aurais pris ? Plutôt ceci comparé à cela, je sais que tu aimes ça, là, plutôt que le bidule du fond avec l'étiquette rouge et verte. Je connais tout de toi et maintenant que tu es parti je vis comme une ombre, l'ombre d'un fantôme qui a pris son envol.
Mais je t'attendrais jusqu'au bout.
Jusqu'à ce que la mort vienne me délivrer.


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